Des chèvres au régime japonais

Quand l’ombre se fait rare sous le soleil de midi, il n’y plus de place pour deux. Tandis que l’une des chèvres profite du seul spot à l’abri des rayons mordants, l’autre halète autant que faire se peut pour évacuer la chaleur. Ces deux « chèvres des fossés » viennent d’une race modeste et éponyme du nord-ouest de la France et qui a failli disparaître. Ce binôme de paisibles biquettes est ici en mission d’éco-pâturage sur le site de Bernon, tout au bord du Golfe du Morbihan. Elle sont l’objet d’une expérience voulue par la commune de Sarzeau dont l’objectif est l’éradication d’une plante invasive, la « Renouée du Japon ».

C’est là l’histoire d’une initiative écologique, concrète, à la toute extrémité des grands discours, sur une surface d’environ 2000 mètres carrés. L’anse de Bernon est l’un de ces nombreux joyaux qui font la réputation du Golfe du Morbihan. Le paysage, à la fois terrestre et aquatique, nous donne à nous, enfants de la télé, l’impression d’avoir été inclus dans une émission de Thalassa. Même en plein été il y a rarement foule hormis quelques baigneurs, pêcheurs ou encore amateurs de kayak. Ici personne ne cherche le paradis étant donné que l’on a les pieds dessus.

Et dans un angle de cette anse se trouve un enclos où un écriteau prévient qu’il s’agit d’un espace expérimental visant à limiter l’espèce invasive de la renouée asiatique communément appelée « Renouée du Japon ». Cette plante d’Asie centrale a été importée au 19e siècle à des buts décoratifs. Elle s’épanouit au bord des plans d’eau, particulièrement là où l’homme a modifié le paysage et les sols. Elle a trouvé à s’implanter jusqu’en Nouvelle Zélande. Elles poussent très vite, émettent des toxines, affectent la biodiversité et fragilisent les berges qu’elles colonisent. Leurs tiges peuvent croître à plus de cinq mètres.

Principale ville de la presqu’île de Rhuys, la municipalité de Sarzeau dit avoir passé un accord avec la société « Ecopâturage du Golfe » afin de déterminer dans quelle mesure les chèvres que l’on sait vorace de tout ce qui pousse, seraient en mesure d’apporter une solution au problème de la multiplication effrénée de la « Renouée du Japon ». Il en incombe donc à ces deux modèles de chèvres rustiques, dites « des fossés », de contrer l’ennemi végétal en mettant en œuvre ce qu’elles savent faire de mieux: brouter.

Il n’est pas précisé quand l’expérience a débuté mais il est néanmoins possible de constater que la moitié de la surface contaminée a été proprement nettoyée et, pourrait-on dire à juste titre, digérée. L’effort écologique sur cette magnifique presqu’île de Rhuys est manifeste après une période de folie immobilière où il se signait dit-on plusieurs centaines de permis de construire par an. De nombreux sentiers ont été créés et la préservation des haies fait qu’été comme hiver on peut s’y promener à l’abri du soleil et du vent. Cette initiative de la mairie de Sarzeau combinant une espèce animale à réhabiliter, avec la lutte contre un genre végétal qui nuit à l’environnement, est originale. À regarder de près ces deux chèvres en délégation environnementale, ces deux bêtes à cornes qui par ailleurs se laissent facilement caresser, ce broutage à la japonaise n’a pas l’air de les troubler plus que ça.

PHB

 

L’enclos expérimental de l’anse de Bernon avec ce qu’il reste de « Renouée du Japon » à brouter. Photo: PHB