H2S

En 1971 le chanteur Nino Ferrer enregistrait « La maison près de la fontaine ». Publiée en 1972 dans l’album Métronomie, elle exprimait la fin d’une belle époque rurale, laissant la place aux usines et aux supermarchés, dans un parfum d’hydrogène sulfuré. Une bande dessinée sortie au mois de juillet 2019, « Algues vertes » raconte la suite de cette chanson prémonitoire. Il s’agit d’une BD d’enquête, dans la même veine que « Sarkozy-Kadhafi des billets et des bombes », paru également chez Delcourt . Signé Inès Léraud et Pierre Van Hove, l’album remonte le temps à partir de décès suspects dus à la prolifération des algues vertes sur les plages de Bretagne. On y comprend comment, dans la foulée de la réorganisation des campagnes après-guerre, des choix irréfléchis ont pu conduire, à des dégâts écologiques durables.

L’élevage intensif de cochons, l’épandage massif d’engrais ont ainsi fait en sorte, décennies après décennies, que des amas d’algues vertes se forment sur les plages bretonnes. Leur putréfaction rapide dégage un gaz hautement toxique pouvant conduire à la mort si l’on s’y attarde. Il s’agit bien de l’hydrogène sulfuré (H2S) que Nino Ferrer chantait en concluant désabusé sur les conséquences néfastes du « progrès« . La mort douteuse d’hommes ou d’animaux ont conduit des citoyens, médecins ou chercheurs à protester, se heurtant la plupart du temps à un mur de silence de la part des autorités ou des industriels, au nom du business et de l’image touristique.

Le travail d’Inès Léraud est convaincant. À l’instar de l’opus sur Kadhafi/Sarkozy, il est étayé de multiples documents et constamment sourcé. Il met notamment en avant la mise en coupe réglée de la Bretagne par les industriels et les lobbys. L’un des morceaux de bravoure de cette BD sont justement les quatre pages infographiques sur le « lobby breton ». Elle fait peur en même temps qu’elle est drôle. Le protagoniste qui sert de guide lecture est un petit homme vert qui court partout d’une usine à l’autre, d’un banquet à des réunions d’associations de promotion en passant par un think tank. Cet homme qui se démène n’est autre que Jean-Yves le Drian, Breton dans l’âme et actuel ministre des affaires étrangères. Il s’agite dans un entrelacs d’organisations reliées les unes aux autres par un fil solidaire. Axe sur lequel se pavanent des industriels mais aussi nombre de personnalités issues de la politique et des médias. On fait notamment la connaissance des « Amis du cochon », un club parlementaire dont la vocation est, on peut s’en douter, la défense de la filière porcine. En novembre 2015 incidemment, le président du Sénat avait saisi le comité de déontologie de la haute assemblée afin d’y voir plus clair sur ce type d’association et de « prévenir tout conflit d’intérêt« . C’est dire.

« Algues vertes, l’histoire interdite » détaille les différents types de résistances face à un problème tellement évident que les vacanciers peuvent le fouler de leurs pieds nus (et narines pincées) lorsque les amas n’ont pas encore été évacués par les tracteurs. Là encore, le format bande dessinée s’avère très efficace pour mettre en scène « une nébuleuse d’intérêts et de lâchetés mêlant gros bonnets de l’agro-industrie, scientifiques à la déontologie suspecte, politiques craignant pour l’emploi ou leur réputation touristique« . Les auteurs sont d’évidence vus par la plupart des protagonistes comme de solides emmerdeurs au point qu’un de leurs interlocuteurs leur conseillera ironiquement de « postuler pour le prix Élise Lucet de la désinformation« . La com’ et l’info n’ont jamais fait bon ménage.  Cet ouvrage n’en est qu’une dernière démonstration.

En fin de parcours, une notule indique que c’est en 1971 qu’une « marée verte » est mentionnée pour la première fois « lors d’une délibération d’un conseil municipal de Saint-Michel-en-Grève, en baie de Lannion« . L’année donc, où le regretté Nino Ferrer (1934-1998) chantait le bonheur d’aller « à la pêche aux écrevisses avec monsieur le curé« , souvenir finalement terni par les émanations d’hydrogène sulfuré. Ce qui pue, tue.

PHB

« Algues vertes, l’histoire interdite », Inès Léraud-Pierre Van Hove éditions Delcourt 19,99 euros