Il y a de cela près de six siècles, la Hollande et la Zélande essuyaient une de leurs pires tempêtes, immortalisée par cette peinture abritée au Rijksmuseum. Dans la longue liste des catastrophes maritimes du pays, celle-là fit de gros dégâts et de nombreuses victimes. Les polders ont été engloutis, des dizaines de villages ont été submergés et l’on a décompté des milliers de morts. Sainte Elisabeth avait donné son nom à ce raz-de-marée de 1421 mais aussi à celui de l’an 1404 avant de remettre le couvert une dernière fois en 1423. Le dernier Saint à avoir donné son nom à une vaste inondation fut Saint-Pierre en 1651. La maîtrise des eaux et parallèlement la conquête de nouvelles terres ne date donc pas d’hier aux Pays-Bas. La menace d’une montée des eaux due au réchauffement climatique pronostiquée par la science ajoute une menace de plus pour les années à venir. En théorie, mais pas seulement puisque l’histoire l’a prouvé maintes fois, une large partie du pays est susceptible d’être repris par la mer. C’est dans ce contexte qu’est né un projet de film. La photographe et artiste Loeky Firet, résidant en France, a déjà fait un premier voyage exploratoire dans son pays d’origine il y a maintenant plus d’un an.
Les premières images tournées là-bas et d’ores et déjà consultables (1), donnent le ton. Il ne s’agira ni tout à fait d’un documentaire ni tout à fait d’une fiction, car l’approche se veut artistique et poétique. Documentaire quand même puisqu’il s’agit bien d’une réalité où se combinent des enjeux industriels et environnementaux. Et avec une dose de fiction également, avec la création d’un personnage (Apolline), qui guidera le spectateur dans cette confrontation vitale de la terre et de l’eau. Dans la présentation de son projet, Loeky Firet rappelle le plan Delta mis en œuvre après la catastrophe de 1953 qui vit les Pays-Bas perdre 160.000 hectares de terre soit seize fois Paris. La nation néerlandaise avait alors pris les choses en main en élaborant le plus grand système de défense au monde contre la montée des eaux. Barrages, digues, vannes, pompes motorisées (autrefois les moulins s’en chargeaient). Les gigantesques travaux ont été achevés en 1986, avec huit ans de retard.
Pour les Pays-Bas, le danger n’est pas un débat, mais un problème bien identifié qu’il s’agit d’anticiper. Plutôt que d’en faire la démonstration via un film purement scientifique, culpabilisant et anxiogène, Loeky Firet et son équipe ont donc choisi le conte comme approche. En assemblant les lieux, les lumières et les sons. elle a eu la volonté de montrer dans la région de Rotterdam, une sorte de « miroir poétique sur un sujet lancinant et universel (…) à travers l’œil interrogateur et original d’une caméra curieuse ».
La réalisatrice cherche actuellement des fonds afin de financer ce projet. Elle s’est d’abord tournée vers le crowdfunding avant de choisir de créer son propre site Internet qui prend le nom du film: « Water in fire ». Mais plus que drainer de l’argent pour un objectif de 20.000 euros, Loeky Firet cherche surtout à créer une communauté de soutien, une véritable adhésion à cette histoire qui lui tient à cœur. Pour elle « Water in Fire » a ceci d’original qu’il se présente comme « un film collectif, non seulement porté par une équipe et sa réalisatrice, mais aussi par ses donateurs ».
Préparé de longue date, le projet a pris ses quartiers sur le web. Le site permet de se faire une bonne idée de cette aventure qui ne demandera qu’à démarrer une fois apaisée la crise sanitaire en cours. Les quelques minutes d’images dont on peut prendre connaissance donnent envie de goûter davantage à cette singulière poésie du concret.
Louise Lapierre